Introduction
Groupe de recherche Crickx
Avant les années 2000, les vitrines de Schaerbeek portaient des lettrages vernaculaires reflétant les différentes cultures qui y cohabitent, peintes ou découpées et collées à chaque magasin par des lettreur·ses varié·es. Parmi elles, certaines formes inédites et visiblement pas découpées par une machine revenaient avec constance, et cela même un peu partout dans Bruxelles et en Belgique. En circulant Avenue Rogier, on repérait très vite Publi Fluor, un magasin où Chrystel Crickx les découpait à la main. Impossible de le rater, tant il constituait l'épicentre de cette calme onde typo-graphique qui a radialement produit des vitrines pendant une quarantaine d'années.
Lorsque Chrystel Crickx cesse ses activités en 2001, le graphiste et typographe Pierre Huyghebaert achète tout son stock de lettres autocollantes afin d'en éviter la destruction. Vingt ans plus tard, le Groupe de recherche Crickx se constitue autour de cette archive que l'atelier Spec uloos (Sophie Boiron et Pierre) conserve aujourd'hui. En parallèle, un laboratoire de recherche et création est aussi lancé à l'École supérieure des Arts de l'image le 75 par une équipe transdisciplinaire d'enseignants et d'étudiant·es. Formidable objet d'étude, cette archive suscite la curiosité de toutes ces personnes pour les problématiques éminemment contemporaines qu'elle soulève : économie de moyens (production low-tech et moyens alternatifs de diffusion), pratiques locales (artisanat, autodidaxie et amateurisme professionnel vernaculaire), proximité et distance avec la machine, propriété et m·paternité.
Dans le présent ouvrage, le Groupe de recherche Crickx documente cette archive et les différentes appropriations qui en ont été faites, avec l'objectif d'en rendre public les enjeux culturels et politiques. La recherche autour de l'archive Publi Fluor s'est organisée autour de trois chantiers :
-
l'histoire de l'activité de Chrystel Crickx, sa boutique-atelier et son économie ;
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le dessin des lettres vinyles et leur esthétique. Le passage du tangible aux fontes numériques et les licences de ces fontes. Les utilisations contemporaines de la Crickx. Les filiations entre toutes les versions de ces lettres ;
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les traces dans la ville, la transmission, les variations.
Les méthodes et techniques qui ont été employées pour comprendre ces lettres et leur écologie sont pour la plupart peu orthodoxes : déballage de l'archive, classement partiel, narration à la première personne, enquête, montage d'interviews, cartographie, appropriation, lettrage de vitrines. L'envie de jouer avec ces lettres répond à leurs caractéristiques. Elles sont lumineuses (faites de couleurs vives voire fluorescentes), modestes (en relation avec le souci de discrétion de leur autrice), produites en nombre (pour satisfaire la demande), économiques (faisant l'objet d'un commerce viable), vernaculaires (leur empreinte traversant Bruxelles), fantaisistes (proposant un modèle original de lettres penchées, mi-carrées mi-arrondies), transitoires et durable à la fois (le vinyle étant paradoxalement aussi érosif que résistant), surannées mais vivantes (l'activité de la boutique Publi Fluor a cessé, mais la numérisation de ces lettres leur permet de perdurer autrement) et populaires (dessinées pour être lues d'un large public et portées par l'enthousiasme d'un grand nombre de membres de la communauté typographique qui motive la publication de cet ouvrage).
Les formes typographiques de Chrystel Crickx semblent affranchies des conventions stylistiques de la discipline. Chrystel n'a en effet aucune formation particulière en la matière. Entre elle et ses deux sœurs cadettes, c'est elle qui hérite du modèle de leur père, lettreur inventif, lorsqu'elle décide de prendre la suite de ses activités au moment de son décès. Contrairement à celui-ci, qui découpait des lettres avant d'aller les poser sur les vitrines de ses client·es, Chrystel Crickx travaille seule et ne souhaite pas sortir de sa boutique pour lettrer. Elle vend plutôt au détail et modifie progressivement le modèle de son père pour faciliter la pose à ses client·es non-initié·es aux joies de la composition typographique. C'est ce modèle que le groupe de recherche et toute une communauté d'utilisateur·ices appelle aujourd'hui « la Crickx ». Il lui permet de produire des lettres pour l'extérieur, tout en restant à l'intérieur. En découpant des lettres dans la cuisine à l'arrière de son comptoir, elle développe une pratique du lettrage moins mobile mais davantage commerçante.
Mais à quels domaines ces lettres appartiennent-elles alors ? À l'enseigne ? Au lettrage ? Au graphisme ? À la typo-graphie ? À l'ornement ? À l'utilitaire ? Aux limites de tous ceux-ci semble-t-il. Autodidacte, Chrystel Crickx trouve de manière empirique des solutions de design inventives, propres à sa pratique typographico-commerçante. L'archive Publi Fluor est non seulement un conservatoire de lettres, mais aussi du quotidien, des sources et de l'économie de sa pratique inédite. Après avoir été découpées à la main pour des usages publicitaires locaux, ces lettres ont été numérisées et rendues plus largement accessibles à des utilisateur·ices du monde entier dans d'autres contextes. À la marge des moyens de communication normés, elles ont contribué et contribuent toujours à l'environnement visuel urbain, à Bruxelles et ailleurs.
Cet essai collectif non standard mené par le Groupe de recherche Crickx et des contributeur·ices extérieur·es (praticien·nes, designeur·ses, artistes et penseur·ses actif·ves) tente de dresser à la fois le portrait d'une femme et de ses objets -- des outils, des lettres, des meubles et des boîtes de rangements -- mais élargit aussi le champ pour suivre les lézardes entre les différentes histoires que cette pratique convoque. Toutes les clefs nécessaires à votre exploration vous sont fournies dans le chapitre suivant. Bienvenue dans l'écosystème Publi Fluor.
Écosystème
Groupe de recherche Crickx
Dates clés
- 1910
- 1916
- 1939
- 1943
- 1944
- 1953
- 1957
- 1958
- 1961
- 1961
- 1968
- 1969
- 1970
- 1972
- 1973
- 1974
- 1980
- 1984
- 1985
- 1989
- 1991
- 1994
- 1996
- 1997
- 1998
- 1999
- 2000
- 2001
- 2003
- 2004
- 2006
- 2007
- 2010
- 2011
- 2013
- 2014
- 2016
- 2017
- 2019
- 2020
- 2021
- 2022
- 2023
- 2024
1910 Naissance de Raymond, père de Chrystel, à Tournai. 1916 Naissance d’Alberte (appelée Betty), mère de Chrystel, à Gand. 1939 Naissance du frère de Chrystel. 1943 Naissance de Chrystel.1944 Naissance de Marie-Claude, sœur de Chrystel. 1953 Premier atelier ou magasin de Raymond, dans une maison de la rue Vifquin à Schaerbeek (Bruxelles), probablement au numéro 10. Les lettrages produits sont basés sur la découpe du vinyle à la main, alors qu’une grande majorité des lettreur·ses travaillent en direct au pinceau sur le support. 1957 Le magasin et la famille déménagent de la rue Vifquin à la rue des Coteaux à un numéro non identifié. 1957 Chrystel quitte l’école à 14 ans. 1958 Naissance de Marcelline, sœur de Chrystel. Le magasin et la famille déménagent à l’avenue Rogier, au numéro 80, sous le nom de Fluoréclam
1961 Premier mariage de Chrystel à 18 ans. Elle vit à Ostende et travaille dans une épicerie ouverte par son mari, puis elle travaille comme ouvreuse de cinéma. Enfin, Chrystel ouvre un bar-dancing-bowling, le ’t Mandje. 1965 Chrystel quitte Ostende et son mari à 22 ans. Chrystel travaille chez le confiseur Bonbons Antoine à Ixelles comme ouvrière. Ses qualités artisanales sont remarquées par le patron qui la nomme au dessin industriel de bonbons. 1968 Chrystel rencontre le père de son premier fils, ils vivent rue des Coteaux. 1969 Naissance du premier fils de Chrystel, Serge, puis séparation du couple. Elle rencontre René Crickx et l’épouse. 1970 Naissance de Michel, deuxième fils de Chrystel. Pendant ce temps, Roger Nols est élu bourgmestre de Schaerbeek et mène dans cette commune, constituant une extrémité du croissant pauvre de Bruxelles, une politique de droite populiste, anti-flamingante et raciste. 1972 Raymond tombe malade, et les trois sœurs travaillent ensemble dans le commerce pour quelques mois. 1973 Mort de Raymond. Chrystel reprend le magasin et travaille avec sa ou ses sœurs.
Les collages du père sur la façade provoquent le mécontentement du propriétaire du bâtiment, elle déménage alors le commerce au numéro 74 de la même rue. Sa sœur Marie-Claude tient une boutique de cadeaux au numéro 72. 1974 Les Halles de Schaerbeek sont transformées en lieu culturel, à 500 mètres du magasin. 1974 Chrystel achète la maison avenue Rogier 102 et y installe le commerce sous un nouveau nom, Publi Fluor. Elle y découpe des lettres et les vend à la pièce, sans placement. 1980 Commercialisation des premiers traceurs de découpe, machines contrôlées par ordinateur. 1984 À la suite de Xerox, commercialisation et développement de la micro-informatique graphique avec Apple, Microsoft, Adobe et le PostScript. Équipement progressif mais très rapide des artisan·es dont le dessin ou la composition des lettres est le quotidien. 1985 Pierre Huyghebaert repère les lettres de Chrystel sur les vitrines de Schaerbeek sans connaître leur origine, parmi d’autres lettrages, pour la plupart encore peints. 1989 Fin du mandat de bourgmestre de Roger Nols. Fédéralisation de la Belgique et création de la Région de Bruxelles-Capitale. 1991 Pierre commence à produire des fontes expérimentales avec Misch Dimmer et Karl Bassil pendant leurs études à l’erg (École de recherche graphique, Ixelles), elles sont signées fonderie Hammerfonts. 1994 Après l’ère Nols, des élu·es d’origines marocaine et albanaise font leur entrée au Conseil communal de Schaerbeek. 1996 Fin de la rénovation des Halles de Schaerbeek après des années de travaux. Pierre travaille désormais en duo avec le plasticien Vincent Fortemps et ils développent ensemble l’identité graphique du lieu à travers livrets et affiches. 1997 Pour les affiches d’un festival de cinéma indien,
Pierre et Vincent envisagent d’utiliser le lettrage des lettres découpées qui sont courantes sur les vitrines aux alentours des Halles, malgré l’usage de plus en plus massif de typographies standardisées par ailleurs. Ils cherchent leur provenance et Pierre trouve le magasin Publi Fluor. Pierre rencontre Chrystel. Il y achète un set de 26 lettres et 10 chiffres de style « normal » (l’italique le plus courant) en 4 cm de hauteur, les scanne et réalise une vectorisation automatique dans le logiciel Streamline (par après intégré par Adobe à Illustrator). Avec ces lettres vectorisées, il compose à la va-vite le titre de l’affiche. Pierre produit ensuite la première fonte numérique qu’il baptise Crickx Rush. Utilisation pour d’autres affiches des Halles de Schaerbeek, flyers, programmes, logos.
1998 Jan Middendorp, journaliste et éditeur du magazine typographique Druk de FontShop Belgique, fait un article sur Pierre et Vincent à propos de leurs productions graphiques pour les Halles. Pierre utilise la fonte pour des projets de Fréon. Pierre transmet la fonte à quelques personnes entre autres de ce milieu pour des raisons pratiques, sans que sa licence soit clarifiée 1999 Jan commande à Pierre un article de 5 pages sur Chrystel pour Druk. Il l’écrit en français, le met en page et Jan le traduit en néerlandais. Lorsque Druk fait une enquête sur les articles qui ont rencontré le plus d’intérêt, celui sur Chrystel arrive en tête. Chrystel ferme le magasin, « j’ai fait ça pendant 26 ans [découper des lettres] ». Entre Noël et le Nouvel An 2000, René Crickx décède. 2000 Chrystel prend sa retraite et déménage vers une maison en Wallonie. 2001 Le studio dans lequel Pierre s’est associé avec deux autres personnes, Speculoos, achète toutes les lettres autocollantes restantes, ainsi que les archives, pour un prix symbolique et surtout pour en éviter la destruction. À la fin de la même année, Pierre passe commande de bas de casse, ponctuation et symboles à Chrystel pour compléter le set de glyphes. Elle produit la version qui sera appelée plus tard Blobby par OSP. 2003 La police Crickx-rush-light-ext (l’une des nombreuses versions optimisées produites par Speculoos pour être utilisées dans des sites web en Flash), attribuée à Hammerfonts, fait l’objet d’une fuite à travers le réseau belgo-français des éditeur·ices de bande dessinée contemporaine et apparaît dans le magazine de BD parisien Bang !.
2004 Les lettres Crickx sont exposées dans la vitrine de Speculoos à la chaussée de Charleroi, à Saint-Gilles. 2006 Harrisson, Femke Snelting et Nicolas Malevé fondent Open Source Publishing (OSP). La « caravane » est ancrée dans la pratique de Constant, Ludi Loiseau arrive à Bruxelles par l’École nationale des arts visuels de La Cambre et y rencontre Pierre qui y donne cours depuis 3 ans. Seconde print party par Harrisson et Femke à La Quarantaine à Ixelles, à laquelle assistent Pierre et Ludi et pendant laquelle un livret est entièrement produit en public en utilisant différents logiciels libres. Ludi commence à travailler pour Speculoos. Pierre rejoint OSP pour une print party à Berlin avec Harrisson en remplacement de Femke. 2007 Ludi rejoint OSP à l’occasion d’un voyage vers le Libre Graphics Meeting à Wrocaw (Pologne) à l’occasion duquel sont dessinées les premières fontes OSP, publiées ensuite sous licence libre SIL Open Font License (OFL). 2010 Ludi et Antoine Begon, alors en stage chez Speculoos et OSP, redessinent les fontes Crickx et les publient sur la fonderie OSP, ainsi que sur d’autres plateformes de typographies libres. La Crickx commence à circuler plus largement. 2011 Arrivée de Sophie Boiron au studio Speculoos. Ouverture du hackerspace Constant Variable à Schaerbeek, à 1 km de Publi Fluor. Variable rassemble des pratiques artistiques inspirées par les logiciels libres, et OSP y ouvre son premier studio. L’archive Crickx y est déplacée et en constitue l’identité graphique. Chrystel le visite pendant l’ouverture officielle et festive. L’archive est mise à disposition du public. 2013 Clôture de Variable, exposition d’une partie de l’archive Crickx organisée pour l’occasion au centre culturel voisin, De Kriekelaar, puis déplacement de l’archive dans les nouveaux bureaux d’OSP au 26e étage d’une des trois tours WTC, Bruxelles. 2014 Femke écrit Today she started with C, traduit aujourd’hui en « Aujourd’hui, elle commence par le C ». 2016 Spectacle non enregistré du magazine Médor (dont Ludi et Pierre sont co-fondateur·ices) pour le Live Magazine au Théâtre National, avec une courte conférence de Pierre sur l’« histoire Crickx ». 05.04.2017 Festival Papier Carbone à Charleroi. Ludi et Stéphanie Vilayphiou d’OSP découpent dans du vinyle des lettres Crickx « version autotrace » pour les offrir au public. 2017 À l’initiative de Sophie, rapatriement de l’archive vers les nouveaux locaux de Spec uloos (renommé avec insertion d’une espace entre les deux parties du nom), rue Van Elewyck 47 à Ixelles. 2019 Décès du premier fils de Chrystel. 10.2019 Début de l’exposition des matrices dans la vitrine de Spec uloos à l’occasion de We Art XL. 2020 Ouverture des fleuristes Nouveau à Ixelles, qui utilisent uniquement la Crickx pour leur communication. 2020 Un Futur pour la Culture, appel à projet lancé par la Fédération Wallonie-Bruxelles (autre nom de la Communauté française). Les éditions Surfaces Utiles y voient l’opportunité de financer la recherche qui pourrait alimenter la publication d’un livre autour de l’archive Publi Fluor. Fondation du Groupe de recherche Crickx à la suite de l’obtention de la subvention. 12.01.2021 Première réunion du Groupe de recherche Crickx. 10.02.2021 Olivier Bertrand et David Le Simple lancent le Laboratoire de recherche-création Crickx à l’ESA Le 75 autour de l’archive Publi Fluor avec une équipe transdisciplinaire d’étudiant·es. Conférence inaugurale de Pierre et Sophie, en tant que dépositaires de l’archive. 09-- 09-13.03.2021 Workshop « Déballage de l’archive » chez Spec uloos par les étudiant·es et le groupe de recherche. Exposition de pièces de l’archive dans la vitrine du studio et lettrage de celle-ci.
31.03.2021 Pistage typographique du Laboratoire à la recherche de traces de lettres Crickx dans le quartier de l’avenue Rogier, Schaerbeek. 21.04.2021 Intervention de l’artiste-archiviste Mathieu Gargam dans le Laboratoire de recherche-création. 29.09.2021 Lancement du premier compte-rendu du Laboratoire de recherche-création Crickx, rue Crickx à Saint-Gilles (il s’agit d’un patronyme relativement courant à Bruxelles). Lettrage d’une vitrine pour l’occasion. 09.2021 Lancement de l’appel à contribution « Cherche amateurix de la Crickx » pour collecter différents usages des fontes Crickx. 20--21.10.2021 Touring Club à la recherche d’autres traces de lettres dans la ville et interviews de quelques utilisateur·ices de la Crickx par les étudiant·es du 75, David, Ludi, Olivier et Sophie. 16.11.2021 Première interview-fleuve de Chrystel par le groupe de recherche. 20.04.2022 Restitution et présentation des projets de recherche-création des étudiant·es du 75 en présence de Mathieu Gargam. 07.05.2022 Workshop de clôture du Laboratoire de recherche-création en présence du graphiste Axel Benassis, composition d’un spécimen à l’échelle réelle des lettres tangibles de Chrystel Crickx pour un numéro de la revue de typographie La Perruque. 09.2022 Nathan Izbicki, ancien étudiant de l’ESA Le 75 et membre du laboratoire de recherche et création, intègre le Groupe de recherche Crickx sur l’invitation de celui-ci. 20.11.2022 Deuxième interview-fleuve de Chrystel, rejointe par ses deux sœurs. 01.2023 Obtention d’une subvention de la Vlaamse Gemeenschap (Communauté flamande) pour le projet de livre et les chantiers typographiques du Groupe de recherche Crickx. 06.03.2023 Conférence basée sur le texte « Mes Lettres », Femke défriche publiquement les questions d’autorat et de licence liée à la Crickx dans le cadre de la journée d’étude « Post\$cript, écoles sous licence » à l’erg. 04.2023 Obtention d’une aide à l’édition de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour le présent ouvrage. 08-12.05.2023 Résidence du groupe de recherche au studio de Constant, chaussée de Jette à Koekelberg. 25-26.05.2023 Le groupe de recherche anime le workshop « Resharpening Blobby » dans le cadre de l’Ultradependent Public School à BAK, Utrecht (Pays-Bas). 10.06.2023 Chrystel et le groupe de recherche se rendent en repérage aux anciennes adresses des magasins et ateliers Fluoréclam et Publi Fluor dans Schaerbeek. 11-15.09.2023 Résidence du groupe de recherche à Meyboom Artist-Run Spaces, Bruxelles. 04.2024 Lancement à Schaerbeek de l’ouvrage Publi Fluor, affaires de lettres à Bruxelles et republication de la police numérique sous le nom Publi Fluor.
Noms courants
Bruxelles
Ville belge et capitale de la Belgique. Elle fait partie de la Région de Bruxelles-Capitale, l’une des trois régions qui composent la Belgique, elle-même composée de dix-neuf communes. Dans cet ouvrage on croise notamment les communes de Schaerbeek, Anderlecht, Bruxelles-ville, Forest, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Ixelles et Woluwe-Saint-Lambert. Dans le langage courant, le nom Bruxelles est souvent utilisé à tort pour désigner l’ensemble de la Région Bruxelles-Capitale.
ESA Le 75
Située dans la commune de Woluwe-Saint-Lambert, l’École Supérieure des Arts de l’image Le 75 propose un bachelier artistique dans quatre orientations : Graphisme, Images plurielles imprimées, Peinture et Photographie.
Groupe de recherche Crickx
Publi Fluor est un projet mené par le Groupe de recherche Crickx, composé de Sophie Boiron (typographe, graphiste, cartographe et gardienne de l’archive Publi Fluor), Olivier Bertrand (éditeur, designer, enseignant), Pierre Huyghebaert (designer, typographe, cartographe, enseignant et gardien de l’archive Publi Fluor), Nathan Izbicki (artiste, photographe), David Le Simple (libraire, éditeur et enseignant), Ludivine Loiseau (typographe, designer et enseignante), et Femke Snelting (chercheuse). La recherche aboutit au présent ouvrage ainsi qu’au renommage et à l’extension du jeu de glyphes des versions numériques de « la Crickx ».
Laboratoire de recherche-création Crickx
Laboratoire de recherche et création constitué autour de l’archive Publi Fluor par un groupe transdisciplinaire d’étudiant·es et d’enseignants à l’ESA Le 75 entre fin 2020 et mai 2022. Membres : Soazig Auvray, Camille Balseau, Olivier Bertrand, Pauline Barret, Leyla Cabaux, Abigaël Coeffier, Léonard Gensane, Nathan Izbicki, David Le Simple, Lysiane Schwab, Élise Tanguy.
Fréon
Fréon est une maison d’édition de bande dessinée contemporaine créée par Thierry Van Hasselt, Vincent Fortemps, Olivier Poppe, Olivier Deprez et Denis Deprez au début des années 1990 à partir de leur rencontre dans l’atelier de bande dessinée de Saint-Luc à Bruxelles. Les livres édités sont peu nombreux mais éditorialement exigeants et d’une grande richesse plastique. En 2002, elle fusionne avec l’éditeur français Amok et devient le FRMK (à prononcer Frémok).
Bye Bye Binary (BBB)
BBB est une collective franco- belge dont les actions alimentent le débat sur la charge politique du design graphique, du langage, des représentations des corps et des identités. BBB adopte une position de recherche militante et communautaire, c’est-à-dire par et avec des personnes concernées, à travers un prisme féministe, queer, trans*, pédé·e, bi·e, gouin·e. Depuis 2021 elle publie une typothèque qui rassemble et diffuse une collection de caractères typographiques post-binaires pour les usages du plus grand nombre.
Open Source Publishing (OSP)
OSP est un collectif de graphistes basé à Bruxelles. Leurs matériaux sont la typographie, les sites web, les outils web-to-print et les traceurs. ls questionnent l’influence et les possibilités des outils numériques à travers la pratique du graphisme (de commande), la pédagogie et la recherche appliquée. À travers leurs projets et en utilisant exclusivement des logiciels libres et Open source (F/LOSS), i·els questionnent les logiciels en tant qu’objets culturels et les modes de collaboration entre graphistes, artistes, institutions culturelles et écoles.
Speculoos/Spec/Spec uloos
Spec uloos est un studio basé à Bruxelles. Depuis sa création en 2000, par Pierre Huyghebaert, François Dispaux et Alexia de Visscher, les lettres de son nom se déplacent. Il s’articule actuellement autour de Pierre Huyghebaert et Sophie Boiron, avec la collaboration de plusieurs indépendant·es. Œuvrant principalement dans le domaine culturel, associatif ou public, Spec tisse des liens entre le réseau culturel bruxellois, des acteur·ices de l’architecture et différentes organisations liées aux questions de projets de ville, des maisons d’édition, des organisations de théâtre et des artistes. Le bureau est impliqué dans différents enjeux et recherches éclectiques mais connexes, entre typographie, édition, co-conception d’expositions, conception de signalétiques et cartographie, notamment au sein de la coopérative Atelier cartographique.
Constant
Constant est une association sans but lucratif basée à Bruxelles depuis 1997 et active dans les domaines de l’art, des médias et de la technologie. Constant travaille avec des serveures féministes, des publications expérimentales, des archives actives, des réseaux extitutionnels, des situations de (ré)apprentissage, des dispositifs piratables, des protocoles performatifs, des infrastructures solidaires et d’autres pratiques spongieuses pour tracer des voies vers des technologies spéculatives, libres et intersectionnelles.
Variable
De 2011 à 2014, Constant investit un bâtiment appartenant à la Communauté flamande à Schaerbeek et, sous le nom Variable, y abrite des studios pour les artistes, les designers, les techno-inventeur·ices, les activistes des données, les cyber-féministes, les geeks interactifs, les pirates du textile, les vidéastes, les amateur·ices de son, les beat-makers et d’autres créateur·ices numériques intéressé·es par l’utilisation de logiciels libres et Open Source, dont OSP fait partie.
Halles de Schaerbeek
Centre culturel fondé par Philippe Grombeer et Jo Dekmine au début des années 1970 dans une ancienne halle de marché aux légumes du XIXe siècle à l’abandon. Acquise par la Fédération Wallonie-Bruxelles, ses dimensions permettent d’accueillir des spectacles nécessitant de grands volumes (Peter Brook, Fura dels Baus, Bob Wilson, Étienne Daho, Anne Teresa De Keersmaeker ou même les premiers festivals Couleur Café dans les années 1990). Centre Culturel européen de la Communauté Française depuis 1991, les Halles font l’objet d’une rénovation en profondeur avant de rouvrir en 1996. C’est à partir de ce moment et pendant trois ans que Pierre Huyghebaert et Vincent Fortemps se chargent des productions graphiques du lieu. En portant un projet de démocratie culturelle, ses activités s’articulent autour des disciplines de la danse, de la performance, du cirque et de la musique.
Mes Lettres
Femke Snelting
Pierre Huyghebaert
Les lettres volatiles en vinyle que Chrystel Crickx a découpées dans son arrière-boutique à Schaerbeek sont saturées de gestes intimes. Ces gestes comprennent l'interaction d'un rasoir extra-fin Le Coq avec la résistance glissante du vinyle adhésif, le maniement virtuose de sa lame et d'une paire de ciseaux, le goût pour certaines formes et pas pour d'autres, les particularités de son corps qui les produit, et l'habitude relâchée d'optimiser la matière et le temps dans des conditions matérielles spécifiques. « Mes lettres », comme Chrystel les appelle simplement, fonctionnent dans un croisement particulier de biographie, de contexte local et d'époque, et présentent un résultat profondément personnel. Mais comme le montre cette publication, outre cette échelle personnelle, les lettres vendues à Publi Fluor traversent bien d'autres couches de production et de circulation. Si certaines de ces couches opèrent à une échelle plus locale, d'autres sont de nature industrielle ou infrastructurelle. Elles sont tour à tour les lettres en vinyle elles-mêmes, en tant qu'objets à valeur économique dans son magasin et plus tard en tant qu'archives culturelles, un ensemble de modèles à ajuster et à redessiner, une histoire matérielle du vinyle, une collection d'objets vectoriels numérisés touchés par une esthétique logicielle spécifique, des variations d'une police publiée sous le nom de « Crickx » sous une licence ouverte, ou des lettres placées par ses client·es et mises en page par des utilisateur·ices contemporain·es. L'ensemble de ces couches constitue un écosystème d'objets intermédiaires physiques et numériques destinés à être posés, placés et composés par d'autres. Cette texture épaisse d'utilisation et de réutilisation, d'appropriation et de circulation, soulève de nombreuses questions sur ce que dire « mes lettres » signifie. À travers une exploration de multiples histoires des origines (origin stories), ce texte porte sur les façons dont la propriété et la paternité se mélangent en relation avec ce que nous appelons parfois « la Crickx » ou, ailleurs, « l'écosystème Publi Fluor ».
Gestes et patrons
Les notions d'original, de reproduction et donc d'appartenance, d'auteur et d'attribution fonctionnent différemment selon chaque élément spécifique de la Crickx. Pour commencer cette exploration, nous aimerions partir de l'extraordinaire écosystème mis en place par Publi Fluor, qui, comme l'explique Olivier Bertrand dans « Verso⥀Recto », s'articule autour de plusieurs entités de lettres qui se relient par une succession de relations de reproduction. Ces entités permettent de transférer des formes du positif au négatif, et du patron aux lettres individuelles dans des couleurs et des tailles multiples.
Pour nous, les patrons font partie des objets les plus fascinants de l'écosystème Publi Fluor. Ce sont des formes temporairement stables qui servent de référence matérielle à un stylo à bille pour en tracer le contour au dos du vinyle.
Bien que chaque lettre en vinyle soit habilement découpée à la main, elle n'est pas entièrement unique car elle suit le tracé d'un même patron, qui est lui-même une reproduction d'autres lettres, donc une forme combinatoire. Comme les formes des lettres ont été développées de manière itérative par Chrystel et son père, il n'est pas évident de savoir si les patrons atténuent ou confirment sa paternité, s'ils cristallisent ou diffractent sa touche personnelle. À travers les gestes répétitifs de traçage et de découpage de la même forme encore et encore, elle appose sa marque sur chacune des lettres et dans une certaine mesure les libèrent ainsi d'une signature trop accentuée.
Le terme utilisé par Chrystel pour désigner ces patrons est gabarit. Historiquement utilisé dans le contexte de la construction navale, ce terme désigne les supports rigides demi-ronds autour desquels les planches sont pliées à la vapeur pour former une coque. Plus généralement, un gabarit est un objet dont les propriétés physiques permettent de résister aux forces nécessaires pour façonner telle ou telle occurrence des objets résultants à des dimensions précises, qu'il s'agisse de bois, de métal, de tôle ou de tout autre matériau. Dans le domaine graphique, le terme désigne souvent un négatif, découpé dans une feuille de matériau rigide et de préférence transparent. Les trous de cette version courante d'un gabarit peuvent être utilisés pour guider un couteau, un stylo mécanique ou une table traçante. Les gabarits de Publi Fluor consistent en des formes positives et au lieu de naviguer à l'intérieur, le stylo trace l'extérieur de la forme sur le vinyle, laissant une marque qui est ensuite suivie par les ciseaux ou la lame.
De même que chaque pratique induit son propre mode de reproduction, et produit son propre système de masterisation, son propre objet standard, on pourrait considérer ces gabarits comme des « originaux » ou des « sources ». Mais à la différence des poinçons métalliques utilisés pour créer des caractères désormais classiques, les gabarits de Publi Fluor ne sont pas conservés dans les réserves précieuses d'une fonderie prestigieuse ou d'un musée national. Ils n'ont ni leur poids ni leur valeur, parce que bien qu'ils soient découpés dans un matériau différent, ils sont presque identiques aux lettres reproduites elles-mêmes. Les modèles peuvent même être reproduits en utilisant les lettres en vinyle elles-mêmes, si la bonne taille n'est pas facile à trouver. Ils sont peut-être aussi remplaçables qu'un dessin vectoriel en template copié et collé à chaque besoin.
Après la vente et le transfert littéral de la propriété des lettres, le travail de lettrage lui-même, c'est-à-dire le placement des lettres dans une séquence, doit être exécuté par d'autres, selon des routines qui ne relèvent pas de la pratique de Chrystel. Le ressenti de m·paternité devient plus flou, comme dans tout transfert typographique, à mesure que les lettres commencent à fonctionner dans leur propre contexte. Mais ici, dans l'écosystème Publi Fluor, il y a un espace supplémentaire pour le jeu, pour la vibration, de l'ajustement des espaces entre les lettres à leur alignement horizontal et même leur rotation involontaire, un processus que Chrystel ne peut ou ne veut pas contrôler. Cette relation détendue et désinhibée entre l'original et la reproduction semble être au cœur de la pratique de Chrystel, et par conséquent dans la façon dont ces lettres se retrouvent sur les vitrines, les voitures et les enseignes. Cela peut nous rappeler la façon dont la combinaison de l'absence de perte et de l'abondance des copies numériques nourrit la culture libre et le logiciel libre. Dans cette approche, l'objet numérique n'est pas rare et ne veut pas être possédé ; et au contraire, tenter de contrôler ou de restreindre sa reproduction est considéré comme contre-productif.
Appartenance autocollante
« Ah oui, c'est mes lettres », remarque Chrystel lorsque nous lui montrons quelques-unes des façons dont la version numérisée de la Crickx, la fonte, a été utilisée sur différentes surfaces et dans différents contextes1. Mais à qui appartiennent vraiment ces lettres numérisées ? Parce qu'il y a de nombreux points de départ lorsque nous essayons d'attribuer les versions numériques de la Crickx.
Nous pourrions commencer à la fin des années 90, lorsque, étudiants à l'erg, Pierre, Karl Bassil et Misch Dimmer commencent à développer une pratique typographique expérimentale avec un amour pour les formes vernaculaires sous le nom de Hammerfonts2. Le trio développe des caractères qui sont souvent des readymades, comme l'Alfphabet, une police glanée dans le paysage autoroutier belge avant d'en découvrir les dessins officiels quelques années plus tard3. Le trio rêve de faire un roadtrip qui documenterait et archiverait la typodiversité en voie de disparition sur les enseignes et vitrines des magasins et sur les panneaux routiers publics. Le projet est de produire des polices numériques instantanées pendant les heures de conduite et les arrêts sur les places des petites villes. Mais comment réfléchir l'auctorialité des traces qu'ils entendaient préserver ? Qui a le privilège de documenter le vernaculaire, de le nommer, de l'expliciter, et d'en faire une police de caractères ? L'attribution des formes de lettres produites par des lettreur·euses largement anonymes ou par des peintres en lettres que nous ne connaissons pas, pourrait un peu facilement être transférée à ces archivistes, surtout lorsque des versions numérisées commenceront à circuler après avoir été soigneusement photographiées, vectorisées et interlettrées. Même si le safari typo rêvé à l'échelle XXL n'a finalement jamais eu lieu, on peut imaginer comment la collecte et la réutilisation ultérieure de la pratique disparue du lettrage est à la fois un acte de soin et un acte de capture.
On pourrait aussi commencer quand, ayant remarqué la Crickx dans les rues de Schaerbeek, Pierre retrace la présence des lettres jusqu'à trouver le magasin Publi Fluor et en achète un petit nombre, en sélectionnant une taille moyenne facile à scanner tout en gardant suffisamment de détails4. Les lettres scannées et vectorisées ne sont pas encore une police de caractères, mais plutôt un dossier d'objets numériques incomplets qui doivent être dupliqués, alignés et espacés manuellement dans un logiciel vectoriel afin de composer un texte. Travailler avec des proto-fontes aussi rustiques est une pratique numérique courante chez les graphistes qui s'essaient à la typographie. Les lettres fonctionnant toujours comme des objets distincts, cette pratique reste proche de la manière dont les client·es de Publi Fluor finissent par placer manuellement des lettres individuelles sur leurs vitrines. Acheter un jeu de lettres signifie-t-il aussi avoir le droit de les reproduire numériquement ? D'un point de vue juridique, c'est probablement le cas. Le cadre du droit d'auteur pour les caractères numériques repose sur l'hypothèse qu'ils sont « trop utiles pour être protégés ». Comme l'explique Eric Schrijver dans Copiez ce livre, « leur lien traditionnel avec la technologie ne laissait pas supposer que des protections s'appliqueraient aux caractères typographiques de la même manière qu'aux beaux-arts et à l'écriture »5. Le droit d'auteur·ice fonctionne plus ou moins de la même manière pour une police de caractères que pour le code source d'un logiciel, ce qui signifie que leurs conceptions ou expressions spécifiques ne sont pas protégées, mais seulement leurs encodages en tant que police de caractères. Légalement, tout le monde a donc le droit de numériser ces lettres, mais sur le plan éthique, la situation est peut-être un peu différente. Pierre ne cache pas à Chrystel qu'il va scanner les lettres achetées, mais sans pratique numérique, elle n'en a peut-être pas compris les conséquences6. Elle ne refuse pas non plus de répondre aux questions de Pierre, sachant qu'il écrit un article sur son travail. Mais, malgré le plaisir évident qu'elle éprouve à faire l'objet d'une publication, est-elle tout à fait consciente que cela la rendra plus identifiable, avec une potentielle atteinte à sa vie privée, importante pour elle par ailleurs7 ?
Pour rendre possible une composition de texte logicielle, Pierre complète les tracés vectoriels et les insère dans une police de caractères. Il nomme temporairement la fonte résultante « Crickx Rush » pour marquer le fait qu'il reste manifestement du travail à faire, mais aussi peut-être pour souligner son état d'esprit face au flot continu de projets permettant mal de sortir d'une relative précarité économique. Dans cette version, la vectorisation automatique collabore singulièrement avec les arêtes vives des lettres découpées à la main pour former des angles, des coudes et des cuspides typiques à la fois de ses algorithmes et des découpes manuelles. Il choisit de placer les lettres plus ou moins sur la même ligne de base et ne passe pas trop de temps à ajuster l'interlettrage. Le Crickx Rush mélange différents styles, car le jeu que Pierre a acheté à l'origine comprend plusieurs modifications itératives entre des lettres qui ont probablement été découpées par le père de Chrystel, et celles qui ont été découpées par Chrystel elle-même. Cet objet numérique hybride circule sous le nom de femme mariée de Chrystel Crickx, mais est parfois attribué de manière informelle à Pierre ou à Hammerfonts8.
Un autre fil conducteur déplace plus loin la question de la propriété, de la paternité et de l'attribution. Les lettres minuscules étant absentes du stock de Chrystel, Pierre rend visite à la lettreuse désormais à la retraite dans sa maison de la campagne wallonne et lui commande un ensemble de glyphes minuscules accompagné des lettres accentuées et des symboles courants. Il craint que la police Gill Sans9, qu'il utilise pour communiquer le dessin de ces signes dont il a besoin, et dont certains sont inconnus pour Chrystel, ne l'influence dans ses choix de conception. Mais cette crainte s'avère inutile car lorsqu'il reçoit les lettres découpées en vinyle quelques semaines plus tard, la lettreuse a emprunté une voie surprenante. L'alphabet que nous appelons désormais la « Chrystelise » est incroyablement autonome, imaginatif et psychédélique, mais son design n'a aucun rapport avec les capitales de la Crickx. Il s'agit d'une anomalie intéressante dans l'ensemble et qui, de par sa conception en tant qu'ensemble cohérent, pourrait être considéré comme plus proche de la pratique de la typographie. Cet alignement sur des pratiques de conception plus conventionnelles signifie-t-il que la Chrystelise peut être attribuée de manière moins ambiguë à Chrystel ?
Lorsque Chrystel prend sa retraite, Pierre achète le stock complet de Publi Fluor, y compris certains de ses meubles de rangement, ses modèles et une partie des archives administratives pour la somme de 10 000 francs belges (environ 1 500 euros de nos jours). Plus tard, il rencontre Ludi Loiseau, travaille avec elle chez Speculoos, Antoine Begon les rejoint, et, en parallèle, à peu de temps de différence, chacun·e rallie Open Source Publishing (OSP). La proximité avec ce récit et l'archive amène Ludi et Antoine à redigitaliser les lettres en vinyle avec un peu moins de précipitation, en incluant également les minuscules autonomes de la Chrystelise. Ensemble, i·els reconsidèrent et redessinent la trace vectorielle de chaque lettre, et font des choix typographiques là où c'est nécessaire.
Lorsque la fonte, qui comprend maintenant plusieurs versions de la Crickx, est prête à être rééditée, la publier sous une Open Font Licence (OFL) pose peu de questions. Il semble en effet que la Crickx, devenue un objet encore plus hybride, gagnerait à circuler dans les conditions généreuses qu'offre cette licence. L'OFL fait partie d'un genre d'interventions paralégales que l'on pourrait regrouper sous les licences de contenu ouvert, de copyleft ou de culture libre. Ces licences contournent le droit d'auteur conventionnel pour rendre possibles d'autres modes de partage dans le cadre de la loi en permettant explicitement aux utilisateur·ices d'étudier, d'améliorer, de distribuer et de copier la police de caractères10. Peut-être plus important encore, les licences de culture libre incitent à une ré-imagination urgente de la m·paternité en tant que pratique relationnelle en réseau, ou comme le déclare OSP en 2011, « notre enthousiasme pour le logiciel libre vient de sa conception même puisqu'il est basé sur une pratique collective qui crée un réseau de relations entre des communautés, des outils et des pratiques spécifiques »11.
En lisant dix ans plus tard les crédits stockés dans le fontlog12 (journal de la police) qui accompagne les fontes, il est surprenant de trouver la mention sans équivoque « Copyright (C) 2011 OSP ». L'insertion d'OSP dans la généalogie des auteurices de ces lettres et la revendication de la m·paternité de la version numérisée de la Crickx n'ont pas suscité beaucoup d'intérêt à l'époque, mais soulèvent aujourd'hui de nombreuses questions13. Pourquoi OSP s'est-il senti autorisé à cette publication et à diffuser le tout sous cette licence spécifique14 ? Et si nous problématisons déjà cette autorisation individualisée, comment rendre compte du rôle du vinyle, du rasoir, de l'algorithme qui a défini ses contours numériques, de l'esthétique bruxelloise qui a co-défini ses formes et de l'enthousiasme continu des utilisateur·ices contemporain·es ? Comment leurs interprétations affectent-elles la police et co-construisent-elles sa réutilisation future ? Le collectif avait-il raison de supposer que la Crickx était déjà, d'une certaine manière, une ressource partagée, ou a-t-il ainsi revendiqué la m·paternité de Chrystel en s'affirmant lui-même ? Continuer à appeler cette police de caractères « Crickx » était une façon de glisser une artisane locale et ses lettres situées dans une liste de typographes renommés quelque part après John Baskerville et avant Adrian Frutiger. Mais c'était aussi établir Chrystel comme une autrice parmi eulles, en qualifiant à tort de typographie la pratique précise et intentionnelle du lettrage de Publi Fluor.
Plus tard, quand OSP déménage avec Constant dans l'espace de travail Variable, lié aux pratiques artistiques libres, gratuites, open source et situé à quelques rues de la boutique Publi Fluor, le stock de lettres retourne également à Schaerbeek. Les lettres de couleurs vives sont rapidement adoptées par tous les membres de la communauté, et Chrystel accepte l'invitation d'assister à l'ouverture du lieu et à la réédition de la Crickx en tant qu'invitée d'honneur. Si leur association avec les fontes et l'histoire de Chrystel augmente le capital culturel d'OSP, on ne voit pas très bien ce qu'elle apporte à Chrystel, si ce n'est un nouveau double mouvement de soin et de capture.
Ce mélange, cette reconnaissance mutuelle et cette validation qui se sont produites lors de la numérisation de l'écosystème Publi Fluor ont mis un certain temps à devenir lisibles. La numérisation de la Crickx est une tentative toujours en cours de libérer les lettres de leurs archives physiques, de leurs dépendances à l'hyperlocal, et a peut-être empêché sa disparition. La circulation célèbre cette relation entre les différents types d'usage et de travail, et la culture du Libre nous fournit un cadre pour le faire. Mais pour contrecarrer la sédimentation dans des relations conventionnelles avec l'autorat, une licence copyleft n'est pas suffisante. Nous devons continuer à nous interroger sur les conditions d'utilisation et de réutilisation, sur ce qui est reconnu comme original et ce qui est reconnu comme copie, sur ce qui est toujours mis en avant et ce qui est toujours laissé à l'arrière-plan.
Gagner sa vie
Dans un texte écrit en 1996, l'auteure féministe Kathy Acker évoque la relation complexe qu'elle entretient, en tant que marxiste, avec le droit d'auteur : « En tant qu'écrivains, nous sommes économiquement dépendants du droit d'auteur, de son existence, parce que nous vivons et travaillons, que nous le voulions ou non, dans une société industrielle bourgeoise, dans une société capitaliste, une société basée sur la propriété. Nous avons besoin de posséder pour survivre, en fait, pour être »15. Dans le contexte d'une économie de marché, l'expression intellectuelle d'un auteur n'est qu'un objet qui peut être possédé comme n'importe quel autre, une marchandise qui peut être échangée et exploitée. Pour Acker, les transactions qui lui permettent de payer son loyer étaient basées sur des textes profondément autobiographiques qu'on lui a commandé d'écrire ou pour lesquels elle était payée par des droits d'auteur et des contrats d'édition. Vivre de son travail créatif dans un système capitaliste produit des dépendances paradoxales, où survivre et être commencent à se confondre d'une manière bien trop familière.
Pour les professionnel·les de la culture libre, ces paradoxes se présentent différemment, mais ils ne disparaissent pas pour autant. La pratique du Libre et de l'Open Source repose sur l'hypothèse que les objets numériques existent sans perte, ce qui signifie que les copies ne sont pas différentes de leurs soi-disant originaux. Par essence, un fichier numérique ne peut pas et ne doit donc pas faire l'objet d'une propriété exclusive. Cela signifie que si vous voulez gagner votre vie avec la culture libre, vous devez trouver un moyen de facturer des services, des applications spéciales ou du développement personnalisé plutôt que de vendre et capitaliser sur des objets. Dans l'environnement néo-libéral de la production culturelle, cela coïncide avec l'importance croissante du capital culturel et dans le même temps de la valeur de l'autorat reconnaissable. La gestion d'une signature ou d'une identité de marque dans cette promiscuité remplace une économie basée sur la propriété en tant que bien.
À l'échelle à laquelle la plupart d'entre nous travaillons, le « business model» de la typographie numérique commerciale n'a pas vraiment de sens. Les polices de caractères numériques doivent être copiées pour fonctionner, et la rareté artificielle est impossible à atteindre pour qui que ce soit d'autre que les grandes fonderies de caractères qui combinent une armée d'avocat·es avec une culture de la peur. La décision d'accorder une licence à la Crickx dans des conditions qui permettent à d'autres de l'utiliser librement n'a donc pas seulement une signification politique et de bonnes intentions, mais suit d'une certaine manière également une logique commerciale. Les projets autour de la Crickx n'ont rendu aucun·e d'entre nous (OSP, les utilisatrickx, les chercheur·euses) riche16, mais notre engagement en faveur de sa pérennité en tant que police numérique a généré du capital culturel qui a mené à plusieurs invitations pour des ateliers, des présentations et enfin ce projet de recherche financé par deux subventions culturelles.
Alors que les fontes Crickx circulent dans les conditions généreuses de l'OFL, les objets physiques continuent d'enthousiasmer les confrère·sœurs, les étudiant·es et d'autres personnes. Variable, OSP, et plus tard Pierre et Sophie Boiron lorsque Variable ferme ses portes et que les archives retournent chez Spec uloos, assument un rôle de gardien·nes des archives. Après la retraite de Chrystel, la Crickx est devenue plus pleinement un objet culturel, ce qui a également modifié le statut du stock de lettres. Depuis le rachat, les lettres ne sont plus à vendre, le stock est passé d'un produit commercial à une curiosité culturelle, voire à un m·patrimoine. Même si le stock s'épuise lentement, car aucune nouvelle lettre n'est découpée, il semble important que les lettres physiques continuent à s'afficher dans les rues de Bruxelles. Alors Pierre et Sophie pratiquent une générosité stratégique, donnant avec parcimonie les lettres en vinyle à certaines personnes et pas à d'autres. Sans surprise, cette approche a choqué Chrystel lorsque nous lui en avons parlé. Comment ces objets, qui représentaient son gagne-pain, pouvaient-ils être donnés gratuitement ?
Il est curieux de penser aux nombreux contrastes entre la pratique de Publi Fluor et la nôtre. Par exemple, les client·es de Publi Fluor ne semblent pas gêné·es par le fait que leur signalétique porte la signature reconnaissable de Chrystel, en résonance avec le paysage urbain bruxellois et non avec leur propre marque. Mais apprécient-i·els réellement son style et son expertise, ou préféreraient-i·els un lettrage découpé à la machine s'ils en avaient les moyens ? En parcourant l'administration manuscrite de Chrystel, écrite au dos des devis et autres lettres commerciales17, nous essayons d'imaginer le fonctionnement quotidien de Publi Fluor et comment, en tant que commerçante, elle décidait de la quantité de travail qu'elle pouvait accepter, du stock qu'elle devait préparer et du nombre de lettres qu'elle devait vendre par jour, par semaine ou au cours d'une vie, afin d'établir une situation économique suffisamment confortable pour elle et pour sa famille. Il se pourrait que ces gestes économiques, qui résultent du pragmatisme multi-scalaire qu'implique la création d'une vie à partir de lettres découpées, définissent la qualité de l'écosystème Crickx. Optimisé pour un minimum de spéculation et d'ambition, le fait d'être juste assez, juste assez bon, a un impact sur leur esthétique et certainement sur l'attrait qu'elles exercent sur nous.
En disant « C'est mes lettres », Chrystel exprime un sentiment de propriété qui ne semble pas être une revendication d'auteur·ice ou artistique. Le « mes » est plutôt propriétaire dans le sens de « fait par moi, à mon époque ». L'utilisation du singulier « c'est » est sans doute du français bruxellois familier, mais peut aussi désigner, au singulier, une pratique plutôt que des objets individuels. « C'est mes lettres » établit une relation directe entre son travail personnel, sa vie et des objets reconnaissables dans le monde.
Un engagement à partager
La recherche Publi Fluor a été partiellement motivée par un malaise quant à la manière dont la dénomination, l'octroi de licences et la contextualisation de la police numérique en tant que culture libre semblaient perdre de vue les conditions collectives qui ont rendu et continuent de rendre possible l'écosystème Publi Fluor. Dans notre pratique quotidienne, nous essayons de résister au cadre idéologique dominant du droit conventionnel de la propriété intellectuelle et à ses hypothèses standardisées sur la m·paternité individuelle, l'exclusivité et l'originalité. Cela coïncide avec un intérêt profond pour la pratique du logiciel libre, de l'Open Source et de la culture libre, qui ont énergisé notre travail pendant de nombreuses années. Dans notre engagement avec l'écosystème Publi Fluor, nous avons donc dû nous demander comment aller au-delà de la sédimentation des biographies individuelles et des adaptations impliquées dans ce geste, en particulier parce que la technique juridique de la licence commence par l'établissement d'un auteur légal. Comment plutôt traiter ce système comme un écosystème de production déjà collectif, à utiliser, enrichir et remettre en circulation ? L'auteure mexicaine Cristina Riviera Garza propose la désappropriation comme pratique créative pour résister au système capitaliste qui définit le travail et la vie. En tant que pratique de capture avec soin, la désappropriation est un mode collectif d'écriture, de fabrication et de création avec le travail des autres, une manière d'exposer « la pluralité qui précède l'individualité dans le processus créatif, ouvrant une fenêtre sur la stratification matérielle si souvent dissimulée par les textes d'appropriation »18. Il semble que les différentes constellations de personnes restées liées à ces volatiles lettres de vinyle pendant plus de deux décennies ont fait un geste de désappropriation du même ordre, en s'engageant avant tout dans des moyens d'articuler et de partager les pluralités qui constituent la pratique de Publi Fluor.
Cette publication s'accompagne d'une quatrième ou cinquième réédition des polices numériques que nous appelions auparavant la Crickx. Les formes de lettres ont été mises à jour et adaptées, et comprennent maintenant un ensemble de nouveaux glyphes qui donnent une forme typographique au besoin urgent d'un langage inclusif du point de vue du genre. Nous avons réécrit le fontlog, en réponse à certaines des questions explorées dans ce texte. Nous avons également renommé la collection de polices en « Publi Fluor », pour tenter de passer de la focalisation sur une seule personne à une activité, une pratique. Ce changement de nom risque bien sûr d'être interprété comme une sorte de déshommage, d'effacement, car il est important de savoir qui compose, écrit, codifie, dessine ou découpe. Mais comme l'écrit Sara Ahmed, il existe une tension entre la reconnaissance et l'individualisation, car « une approche féministe ne peut se permettre de réduire les questions d'incarnation et de subjectivité à l'ontologie de l'identité », en d'autres termes, nous ne pouvons pas supposer que l'incarnation de l'auteur·ice est parfaitement alignée avec son identité, ni avec l'œuvre elle-même19. Nous vous invitons donc à imaginer ce livre comme un spécimen typographique étendu, qui, en plus de présenter les qualités esthétiques extraordinaires d'une pratique locale du lettrage, insiste sur le contexte socio-économique de l'écosystème Publi Fluor, plutôt que d'essayer de célébrer le génie d'une seule inventrice. L'expérience qui consiste à accepter la spécificité de la pratique de Chrystel tout en s'appropriant ses lettres, documentée dans ce livre, traverse de nombreuses compréhensions différentes de ce que signifie dire « mes lettres ». Elle nous permet de repenser cette expression dans des directions moins figées que celles que les pratiques typographiques, graphiques, logicielles et industrielles conventionnelles autorisent habituellement.
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Entretien avec Chrystel Crickx, novembre 2021. ↩
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Pour mieux comprendre les chevauchements entre Hammerfonts, Constant, Variable, OSP et Spec uloos, voir l'« Écosystème Publi Fluor ». ↩
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Open Source Publishing. « Alphabet » OSP Foundry, septembre 2013. osp.kitchen/foundry/alfphabet ↩
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Ou remonter de manière plus détaillée au milieu des années 1980, quand Pierre voit ces lettres sur les vitrines de Schaerbeek lors de ses premières escapades adolescentes en solitaire à la capitale. Ou encore aux milieu des années 1990, quand Pierre travaille avec Vincent Fortemps sur des projets pour les Halles de Schaerbeek, parle avec lui de ces lettres et trouve la boutique qui les produit. ↩
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Eric Schrijver & co., Copiez ce livre -- Un manuel sur le droit d'auteur et les communs culturels, par et pour les artistes, Cluny, Les Commissaires Anonymes, 2018, p. 133. ↩
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Pierre rapporte une discussion avec Chrystel au moment de lui présenter la première affiche où ses lettres apparaissent. « Comment est lettrée l'affiche, avec trois fois la lettre N alors que tu (Pierre) n'en as acheté qu'une ? ». Et comment les tailles de lettre de l'affiche avaient été produites, sans rapport avec les tailles de lettres vendues par le magasin. Les tentatives d'explications de vulgarisation technique de Pierre se sont vite heurtées à une certaine résignation de Chrystel. « De toute façon, je ne sais même pas utiliser un fax... » ↩
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Lors des différents échanges au cours de la rédaction de ce livre, ce souhait de discrétion est revenu plusieurs fois, avec une demande explicite de la part de Chrystel de ne pas révéler d'élément permettant de situer l'adresse actuelle de son domicile. ↩
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Vers 2003, la police crickx-rush-light-ext, l'une des nombreuses versions optimisées produites par Speculoos pour être utilisées dans des sites web en Flash, attribuée à Hammerfonts, fait l'objet d'une fuite à travers le réseau belgo-français des éditeurs de bande dessinée contemporaine et apparaît dans le magazine de BD parisien Bang !. ↩
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Avant d'apprendre que l'auteur de cette police de caractères, centrale dans l'histoire de la typographie, abusait sexuellement de ses filles. ↩
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Voir aussi : The Essential Four Freedoms tel que formulé par la Free Software Foundation : « La liberté d'exécuter le programme comme vous le souhaitez, dans n'importe quel but (liberté 0) ; La liberté d'étudier le fonctionnement du programme, et de le modifier pour qu'il fasse vos calculs comme vous le souhaitez (liberté 1) ; L'accès au code source est une condition préalable à cela ; La liberté de redistribuer des copies pour que vous puissiez aider les autres (liberté 2) ; La liberté de distribuer des copies de vos versions modifiées à d'autres (liberté 3). « En faisant cela, vous pouvez donner à l'ensemble de la communauté une chance de bénéficier de vos modifications. L'accès au code source est une condition préalable à cela ». gnu.org/philosophy/free-sw.en.html#four-free ↩
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Open Source Publishing. « Relearn », △⋔☼, 2011. ↩
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En 2011, Pierre et Ludivine, membres du groupe de recherche Publi Fluor, étaient tous·tes deux impliqué·es dans OSP ; Femke venait de quitter OSP pour initier le Libre Graphics Research Unit avec Constant. ↩
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Paradoxalement, OSP a techniquement revendiqué la paternité du logiciel de la police, afin de libérer la fonte. ↩
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Kathy Acker, « Writing, Identity, and Copyright in the Net Age », The Journal of the Midwest Modern Language Association, Vol. 28, No 1, Identities (printemps 1995), pp. 93--98. ↩
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Il s'est avéré que les revenus générés par le travail autour de La Crickx ne permettaient pas de couvrir le temps nécessaire pour mener à bien le projet de recherche au niveau imaginé par les membres du groupe. À mi-parcours, la décision de continuer a été prise par chaque membre du groupe qui a répondu à la question suivante : « Je ne perdrai pas le sommeil à cause de cela [travailler gratuitement]. » ↩
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Entretien avec Chrystel Crickx, novembre 2021. ↩
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Cristina Rivera Garza, The Restless Dead : Necrowriting and Disappropriation, Nashville, Vanderbilt University Press, 2020, p. 65. ↩
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Sara Ahmed, Differences That Matter: Feminist Theory and Postmodernism, Cambridge: Cambridge University Press, 1998, p. 123. ↩